samedi 15 janvier 2011

Anecdote

Je profitais l'autre jour de la douceur hivernale de ma ville natale Nantes installé à la terrasse d'un bar. En compagnie de deux autres disque-jockeys que j'ai le plaisir de compter parmi mes amis, je buvais une bière avant que nous allions tous les trois diffuser de la musique électronique dans la ville sur les ondes d'une station de radio. L'un d'entre nous assiste à de nombreux concerts, a travaillé un temps dans le domaine de la distribution phonographique et s'occupe aujourd'hui du service et de la programmation musicale dans un café, ce qui lui vaut d'être très populaire (outre ses grande qualités humaines). Nous avons donc été abordé par de nombreuses personnes venant le saluer ou souhaitant se joindre à notre conversation.

L'une de ces personnes
un homme d'à peine une trentaine d'année, sorti fumer une cigarette voulait savoir ce à quoi nous nous préparions. Lorsque nous lui avons répondu que nous nous apprêtions à jouer des disques il a tenu à savoir s'il s'agissait de vinyles ou de CDs. Cette question que j'ai pu entendre des dizaines et des dizaines de fois a le don de me mettre hors de moi. Le jeune homme ne prêta que peu d'attention à la brève réponse qui je lui adressais sèchement. En apprenant que le plus populaire d'entre nous jouerait des vinyles il s'enthousiasma : "Toi, tu as du goût", sans même s'intéresser de plus prêt à la programmation musicale de l'émission. Le bref échange sembla avoir comblé sa curiosité puisqu'il nous laissa enfin tranquilles (sans nous imposer plus longtemps la fumée de sa cigarette).

Cela fait maintenant plus de 10 ans que je joue des disques à la radio, dans des lieux publique et sur l'internet. Mon format de prédilection est le disque-compact. J'apprécie entre autre la fiabilité du support et son encombrement limité (je me déplace quasi-exclusivement à bicyclette). Et cela fait plus de 10 ans que je me heurte à ce style de questions stupides. Une petite mise au point s'impose.

En 2005, lorsque le second opus de Mr. Oizo intitulé "Moustache (Half A Scissor)" fut mis sur le marché, je me souviens avoir lu une interview de son créateur dans laquelle il expliquait que c'était pour des raisons techniques que l'album n'était pas disponible sur disque vinyle (ajoutons qu'aucun matériel analogique ne fut utilisé dans l'élaboration de l'œuvre). Toutes celles et tout ceux qui ont écouté de la musique sur ce support ont sans doute déjà remarqué comme certaines fréquences
notamment les aigus peuvent "baver", avoir un rendu approximatif. Six ans après sa sortie, le label Brainfeeder réédite aujourd'hui l'album sur disque vinyle. Gageons qu'ils auront fait appel à un ingénieur de mastering talentueux pour travailler sur le projet. Ce double album limité à 1000 exemplaires met fin à une demi-décennie pendant laquelle le second album de Mr. Oizo, selon notre fumeur évoqué plus haut, manquait de goût. Étonnamment, ce qu'en dit Flying Lotus, patron de l'étiquette de disques Brainfeeder, va dans ce sens : "The original label that put it out thought it was unlistenable at the time, they didn't quite believe in it, but it was ahead of its time.", il n'est plus question ici de considérations techniques.

La conception d'un disque vinyle est bien moins aisée et plus coûteuse que celle d'un disque-compact, d'une cassette, d'un mini-disque ou je ne sais quel autre support. Notons qu'une face de vinyle ne peut contenir plus de 20 à 25 minutes de musique sans que la qualité sonore en pâtisse, c'est la raison pour laquelle la grande majorité des albums n'excédait pas les 45 minutes dans les années 80. Le succès du disque-compact dans les années 90 et 2000 a donné naissance à des albums pouvant s'étaler sur plus de 75 minutes et donc sur 2 disques vinyles. La logique mercantile des grandes maisons de disques et les différents supports adoptés par celles-ci ont influencé le travail des musiciens pendant de nombreuses années. À l'heure où l'on parle de dématérialisation de la musique, le vinyle est de plus en plus réservé à des formats courts destinés aux disque-jockeys. C'est en effet un support très facilement manipulable ; on peut y poser les doigts, il offre des repères visuels et la vitesse de lecture peut en être modifier. Peu d'artistes utilise le disque-compact lors de représentations en publique, nommons néanmoins le manitobain Venetian Snares et le californien Wobbly.

De nos jours, l'informatique est de plus en plus présente dans les clubs. Lorsqu'il est question de faire danser le public, la puissance évocatrice de la musique importe moins que la puissance du système sonore. Le DJ doit savoir jouer de la membrane des haut-parleurs pour mettre l'auditoire en branle. Tout ce qui se trouve entre le disque-jockey et cette membrane doit être correctement maîtrisé. Les bruits de surface du disque vinyle peuvent donc présenter un inconvénient de taille. Ironiquement, si ces bruits de surface sont considérés par Autechre comme indispensable à leur album "Tri Repetae", aucun fan d'autechre ne m'a jamais reproché d'en jouer des extraits à partir de la version sur CD.

Le disque vinyle à microsillons est utilisé par le grand public depuis le fin des années 40 et a encore de beaux jours devant lui. Mais il ne s'agit que d'un support parmi d'autres permettant de diffuser la musique enregistrées. Si les 10 commandements furent à l'origine gravés dans la pierre, il faut bien avouer que la plupart d'entre-nous les ont lus inscrits sur du papier. La musique s'adresse au corps et aux oreilles
, c'est un signal lancé dans l'air. Les supports grâce auxquels elle parvient jusqu'à nous n'ont que peu de rapport avec le plaisir qu'elle procure, n'en déplaise à certains collectionneurs avides d'objets palpables pour remplir le vide de leur existence.

Comme le disait si bien Suggs en introduction à "Night Boat To Cairo" sur le plateau de The Old Grey Whistle Test en 1979 : "Shut up, listen and dance!"


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